MA RENTRÉE À L’ÉCOLE DE MAGIE PAR BRAIN MAGAZINE


Ce n’est pas votre conseillère d’orientation ou Pôle Emploi qui vous en aurait parlé. Et pourtant, à Paris, vous pouvez désormais obtenir le premier diplôme de magicien au monde, reconnu par le ministère du Travail français. Anxieuse à cause de la terrible constipation du marché de l’emploi dans le journalisme, j’ai décidé de filer au quai 9 3/4 du métro pour tenter d’échapper à la précarité et découvrir la première promotion d’étudiants de l’Histoire qui pourra dire « T’as révisé pour le partiel de mentalisme ? » Bienvenue au café Le Double Fond, dans le IVème arrondissement de Paris, le Poudlard français qui attire désormais les regards des apprentis illusionnistes de toute la planète.

Intégrer une école de magie, c’était un peu un rêve de gosse. Une fantasme de pré-ado biberonnée aux films d’heroic fantasy et aux sept livres de la saga Harry Potter. Mais après un parcours scolaire classique, sans l’ombre d’une convocation à Poudlard, j’avais fini par me rendre à l’évidence : je n’apprendrai jamais les rudiments de la magie dans un château centenaire. Et au lieu du cours de métamorphoses tant espéré, il faudrait me contenter de la puberté, qui amène elle aussi son lot de transformations physiques, et surtout de boutons sur la gueule. Je pensais donc avoir fait mon deuil des chaudrons, quand j’ai reçu une invitation pour découvrir la formation dispensée par Le Double Fond (la première école de magie proposant un diplôme d’État). Qu’importe si ladite invitation se présentait sous la forme d’un mail et non d’un bout de parchemin délivré par un hibou domestique : je me voyais déjà drapée d’une robe de sorcière aux couleurs de l’établissement. Agitant ma baguette en noisetier devant un parterre de moldus incrédules. Les premiers moments d’excitation dissipés, je réalisai qu’il y avait davantage de chances pour que je me retrouve à escamoter des cartes qu’à lancer des sortilèges, mais tant pis, je décidai de confirmer ma présence.

Le Jour J, je me rends donc dans le Marais, le lieu de tous les possibles pour les jeunes sorciers (et les aspirants baristas), afin d’être initiée au noble art de la prestidigitation. Le Double Fond est un café-théâtre sur deux étages, avec à sa tête Dominique Duvivier, un magicien renommé et très estimé dans le milieu, sorte de Dumbledore à catogan qui aurait troqué les vieux grimoires d’apprentissage contre des tutos sur YouTube. Les employés du bar sont eux aussi magiciens, mais à l’inverse de beaucoup de serveurs parisiens, ils ne font pas disparaitre votre courtoisie.

Philippe de Perthuis, le Professeur McGonagall de l’école du Double Fond, même si son style rappelle plutôt celui du Professeur X, m’accueille. Tombé amoureux de la magie enfant, à cause des volumes reliés en cuir de La Science Amusante du début du XXème siècle, Philippe a abandonné sa carrière bien balisée d’ingénieur après avoir fait l’École Centrale, préférant « un mode de pensée moins cartésien, qui laisse place à plus d’intuition et de création ». Plus qu’un prof, un guide qui veut empêcher que ses disciples soient séduits par l’appel de la magie noire et des démons : « On pourrait utiliser la magie à de mauvais desseins, obtenir ce que l’on veut quand on le veut, comme un chimiste peut produire de la drogue ou un informaticien peut devenir un dangereux hacker. Mais la vraie vocation de magicien, c’est communiquer, créer quelque chose que l’autre éprouve. C’est cela qu’on travaille ici. » Logique, donc, qu’il refuse lorsque je lui demande des astuces de mentaliste pour obtenir une augmentation de salaire, même s’il regarde d’un oeil amusé les fantasmes qu’a suscité la série avec le Laurent Delahousse australien, Simon Baker : « Aujourd’hui, à cause de la série, dès qu’on parle de mentalisme, les gens sont fascinés. Au XIXème, on aurait dit ‘spiritisme’, ça aurait été la même chose. À un moment, on disait ‘PNL’ et les gens étaient subjugués. Notre matière de base, c’est d’utiliser l’imaginaire de notre époque. »

La classe est exclusivement composée de garçons. À en croire Jean-Christophe, un étudiant qui vient d’intégrer l’école après onze ans de pratique en autodidacte, cette absence de femmes s’explique peut-être par une certaine forme de timidité, davantage qu’un réel “manque d’intérêt” pour la discipline. Mais il espère que la profession va se féminiser avec le temps et il invite les femmes à se lancer. Il insiste : “La magie, c’est vraiment ouvert à tous !”. Édouard, l’aîné de la promo, un élève de 36 ans qui a lâché son ancien job de conseiller en stratégie d’entreprise pour devenir magicien, rebondit : “Peut-être aussi que l’image du magicien macho à l’ancienne qui coupe des femmes en deux n’aide pas…”. “Les assistantes faire-valoir, on n’en voit plus trop aujourd’hui”, tempère Jean-Chri’.

Le journalisme et la magie ont pour point commun de vendre de l’illusion au public ; je prépare donc le terrain pour mon éventuelle reconversion en demandant à Philippe le programme détaillé de ce cursus de 18 mois : « C’est du boulot, 550 heures de cours et 4 000 heures de travail chez soi, au moins. Ça va de la magie pour enfants au close-up, la magie de salon ou la magie de scène. Ça va des tours de carte jusqu’à la femme coupée en deux. » Sur ce point-là, prof et élèves vont peut-être devoir accorder leurs violons.

Quoi qu’il en soit, ma paresse naturelle m’a déjà soufflé à l’oreille de lâcher l’affaire, et ma deuxième personnalité de scier ma voisine qui écoute du Céline Dion à fond tous les soirs, à 23 heures. Je demande quand même à Philippe si c’est une bonne situation ça, magicien : « Éric Antoine est parrain de l’école mais ça ne veut pas dire qu’ils vont tous devenir comme lui. C’est une vie difficile. On peut jouer dans un café-théâtre, faire des animations en entreprise, en colonies de vacances ou travailler dans les hôpitaux avec les enfants. » Voyant autant de points communs entre la magie et le monde de l’open-space qu’entre la dignité et Alain Finkielkraut, je suis un peu décontenancée lorsque le grand mage m’explique qu’il a animé masse de séminaires d’entreprise : « On apprend aux managers à dépasser la technique pour communiquer. C’est très bien d’être un expert mais il faut créer un contact vrai et s’adapter à ce que les gens ont besoin d’entendre. Parce que ce sont les rêves qui font avancer. » Essayer de ramener un peu d’empathie dans la pourriture de la start-up nation, c’est donc ça aussi la thug life de magicien.

Fin de la récré. Je descends dans le sous-sol pour assister à mon premier cours. Je fais le serment de ne pas révéler les coulisses du tour, sous peine de devoir baptiser mon premier-né Sylvain Mirouf, et je m’installe au fond de la salle. L’ambiance est feutrée. Des projecteurs éclairent une table sur laquelle s’entassent des accessoires. En guise de fournitures scolaires : des cordes et des jeux de cartes. En réalité, l’entraînement d’un magicien n’a pas grand-chose de spectaculaire. Il s’agit surtout de répéter inlassablement les mêmes gestes, pour espérer tromper l’oeil du public. D’ailleurs, très rapidement, je comprends qu’une grande partie du talent de l’artiste réside dans sa capacité à détourner l’attention des spectateurs, et qu’un bon répertoire de blagues est bien plus efficace qu’une cape à cet effet. Les deux heures de cours filent au rythme des empalmages et des vannes foireuses.

La séance s’achève sur une démonstration de mentalisme. Un peu sceptique quant aux explications données plus tôt par Philippe, j’interroge tout de même les étudiants pour savoir si cette aptitude à la manipulation ne peut pas être utilisée pour des raisons plus prosaïques, voire carrément malveillantes. Jean-Christophe répond : “Il ne faut jamais s’en servir à de mauvaises fins, ça, c’est marqué noir sur blanc dans le contrat” (une sorte de manifeste que chaque magicien s’engage à respecter en entrant dans l’école, nda). Thomas, un jeune homme à la silhouette filiforme et vêtu d’une veste de smoking, ajoute : “Une discipline qui se développe beaucoup, c’est le pickpocketing, par exemple. Mais les artistes qui la pratiquent n’en deviennent pas pour autant des voleurs professionnels. Ils restent dans le spectacle.” Jean-Christophe acquiesce : “Magicien, c’est le métier le plus honnête du monde. C’est celui qui annonce qu’il va tricher.” Dylan, jeune magicien originaire de la Côte d’Azur, qui a fait ses gammes dans une asso niçoise avant de rentrer cette année au Double Fond, n’est pas tout à fait d’accord : “Les bons mentalistes utilisent la PNL (programmation neuro-linguistique). Ça peut aider à convaincre des gens. Avant, je faisais aussi de la vente, et je l’utilisais beaucoup pour refourguer des extensions de garanties. Mais c’est mieux si c’est utilisé à bon escient.”

OK, pour vendre des lave-linges. Mais pour draguer au fait, est-ce qu’on chope plus quand on sait se servir de sa baguette ? Jean-Christophe en est persuadé : “J’ai un passé de grand timide alors ça aide, parce que ça permet d’aborder plus facilement des gens. En amitié aussi d’ailleurs, ça permet de créer du lien.” Même son de cloche du côté de Thomas : “Je suis aussi un grand timide et la magie m’aide à me sentir à l’aise.” Édouard poursuit : “Et puis la magie permet de mettre en valeur les autres, de les faire participer. Ce n’est pas comme jouer de la guitare sur la plage pour impressionner les filles par exemple, où c’est soi-même qu’on met en avant. Là, il y a davantage de partage.”

Quand on leur parle de perspectives d’avenir et qu’on leur demande s’ils espèrent faire carrière en tant que magiciens, ils sont tous au diapason. “C’est un sacerdoce”, selon Édouard, qui a déjà travaillé douze ans dans “des métiers de bureaux” et souhaite aujourd’hui mettre à profit son expérience pour coacher les entrepreneurs grâce à la magie. Jean-Christophe, quant à lui, vient tout juste d’obtenir un emploi chez Disneyland Paris et envisage d’intégrer quelques tours à ses spectacles. Dans le futur, il aimerait aussi transmettre sa passion. Dylan, pour sa part, se voit bien ouvrir une école au Portugal, dont sa famille est originaire : “Ce n’est pas une discipline qui se pratique beaucoup là-bas, donc je pense qu’il y a des choses à créer.”

Concernant la qualité de la formation, les avis sont également unanimes : “Il existe d’autres institutions comme le Magic Castle aux USA, ou la FFAP ici, mais c’est plus une reconnaissance entre professionnels du milieu. Là, c’est vraiment la première formation au monde avec un diplôme d’État. C’est à part, c’est l’équivalent d’un bac+2”, me confie Dylan. D’ailleurs, les apprentis illusionnistes n’ont eu aucun mal à convaincre leurs familles de leur faire confiance pour se lancer dans l’aventure, même les tout jeunes bacheliers (Thomas et Lucas, nda), pour qui le Double Fond constitue le premier contact avec les études supérieures. Jean-Christophe confirme : “Aujourd’hui, le secteur est assez compétitif, et en intégrant cette école, on peut se distinguer des autres magiciens”. Je ne savais pas qu’on pouvait disrupter le secteur de la magie, mais je prends note.

Avant de les quitter et de retourner dans le monde des “profanes” (les non-magiciens selon leur manifeste, les moldus en quelque sorte, nda), j’ose une dernière question : comment vivent-ils les moqueries de ceux qui pensent que leur passion est ringarde, que c’est un loisir de nerds ? Thomas déplore que l’on puisse juger sans n’avoir “jamais ressenti l’émotion que procure la magie.” Jean-Christophe leur propose pour sa part d’assister à un spectacle et donne le mot de la fin, avant d’enfourcher son Nimbus 2000, qui ressemble à s’y méprendre à une trottinette électrique, et de disparaître dans un nuage de fumée : “La magie est un art, et comme tous les arts, il évolue. Il faut venir voir pour se faire une idée !”

Par Hermeline Grangé de la rédaction Brain Magazine

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